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Atelier [FIC], 10-14 juin, Weimar - Intentions

10 May 2013
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[Message aux participants]

Atelier « [FIC]/fiction », 10-14 juin 2013, à l’IKKM, Bauhaus-Universität Weimar, co-organisé par Bruno Latour (Sciences Po) et Antoine Hennion (CSI, MINES-ParisTech), dans le cadre d’un programme de l’IKKM, en liaison avec le programme ERC AIME, sur l’« enquête sur les modes d’existence » (cf. le livre de Latour Enquête sur les modes d’existence, Paris: La Découverte, 2012).

Chers participants

Avant la mise au point d’un programme détaillé, nous voulions préciser avec vous le mode de fonctionnement de l’atelier. Il s’agit d’un atelier pratique, dans l’esprit de la sociologie pragmatiste travaillée avec Antoine Hennion dans le séminaire Attachements, et de la philosophie empirique mise à l’épreuve par Bruno Latour, en particulier dans AIME, son enquête sur les modes d’existence. Le but de cet envoi est de vous inciter à nous donner vos réactions et à faire vos propres propositions : points que vous voulez travailler, cas ou expériences à présenter, façons d’en rendre compte et d’en débattre, etc.

Organisation
L’atelier réunit une vingtaine de participants, une moitié invitée par Antoine Hennion, une moitié par l’équipe AIME. Du lundi au mercredi matin, nous travaillerons entre nous sur les documents, matériaux, expériences que vous aurez apportés, pour mettre au point les modalités de l’enquête collective, tester une procédure, fabriquer des exercices, notamment pour nourrir l’enquête AIME. Dans ce but, les séances seront enregistrées, pour permettre des traitements ultérieurs. Les jours suivants, nous en présenterons des comptes rendus dans des séances ouvertes aux chercheurs de l’IKKM intéressés, pour une discussion générale en présence d’un public, et être en mesure le vendredi de reformuler le mode [FIC] et la notion de fiction, suite au travail mené dans l’atelier.

Il ne s’agit pas de se limiter à une discussion académique entre chercheurs, mais de recueillir les résultats de rencontres entre praticiens et chercheurs, pour décoder de façon de plus en plus précise les expériences sélectionnées. Nous suivons donc le protocole de l’Enquête sur les modes d’existence (EME) : l’expérience est-elle partageable ? Le compte rendu proposé par EME est-il acceptable ? Pouvons-nous en proposer un meilleur compte rendu ? Si un autre compte rendu est proposé, quels autres modes deviennent plus distincts et plus compatibles avec celui-ci ? Enfin, point essentiel que permet la rencontre de nous tous à l’IKKM, peut-on s’entendre à la fin sur une description partagée des êtres de [FIC], qui puisse servir plus tard à réécrire les propositions du livre ?

Thème
Un dernier avertissement : le thème « [FIC]/fiction » est à entendre en un sens inhabituel, qui se détache du sens ambigu qu’a le terme fiction d’ordinaire. Il correspond au mode d’existence des « êtres de fiction » proposé à l’enquête par Bruno Latour sous le sigle [FIC]. Si ce mode renvoie au récit de fiction, à l’œuvre d’art, à la littérature, aux actes de langage, il se retrouve dans bien d’autres domaines. Il précède de beaucoup l’invention de l’institution de l’art et des arts. Il est plus large et ouvert, plus ancien, plus changeant. Il précède l’humain, et de milliers d’années, puisqu’il l’a engendré.

L’idée est d’en retrouver la trace ou la tonalité dans des activités diverses qu’il aidera à reformuler, et de l’articuler à d’autres modes. La série de thèmes soulevés est très riche : figurer, inventer, mettre en forme, en récit, formaliser, faire œuvre, etc. Tout en visant à parvenir à une reformulation utile de ce mode, l’objectif est d’exploiter cette richesse dans toutes les directions, de façon expérimentale, très ouverte et inventive, en prenant des risques, et de mettre selon les cas l’accent sur tel ou tel aspect : moment clé de détachement/ attachement où une forme s’abstraie d’une matière ; capacité d’action des êtres de fiction ; nécessité d’être sans cesse repris pour exister, avec des degrés d’existence variables ; ouvrage bien fait, forme qui « tient », œuvre qui « appelle », comme dit Souriau, et demande qu’on soit à sa hauteur : ces créatures qui créent, ces faits qui font faire ont bien de l’exigence ! C’est elle qu’il faut apprendre à respecter en apprenant à bien en parler de toutes ces sortes d’êtres de fiction.
A propos de Souriau, Bruno Latour et Antoine Hennion feront une conférence commune sur « L’Œuvre à faire » le mercredi soir à l’IKKM.

Mode de fonctionnement
Comme vous voyez, pour préparer l’atelier il faut moins penser à boucler une présentation formelle que réfléchir à une expérience, aux traces, documents, matériaux qui peuvent en être extraits et présentés, aux façons de le faire, aux points qui font débat, ou font hésiter, etc. Outre le mode [FIC] lui-même, il faut travailler sur l’articulation avec d’autres modes ([MET], [TEC], [REF], [POL], [ATT], en particulier), les embranchements, les décalages, les moments de dispersion ou de délitements, ou au contraire de prise et de solidification des êtres, et les effets produits. L’idée n’est pas d’« appliquer » [FIC], ce n’est pas non plus de parvenir à un accord, mais de parvenir à une redescription acceptable de la liste des spécifications qui, à vos yeux, définissent avec assez d’acuité ce que veut dire fiction. Idéalement, nous devrions finir le vendredi avec un petit « relevé de conclusions » qui résume les avancées et les points de désaccord.

Ce travail fera partie du processus lancé par l’enquête sur les modes d’existence, ce n’est qu’une proposition, appelée à se transformer à partir des expériences que nous aurons menées : il s’agit aussi de mettre en pratique des « rencontres diplomatiques », comme les appelle le protocole d’AIME en référence notamment à Isabelle Stengers, qui fassent bouger et avancer le projet de l’enquête, et dont nos travaux à Weimar seront le premier essai.

Thèmes des ateliers pratiques, que nous considérons comme prioritaires (n’hésitez pas à en ajouter d’autres)

  • Les jugements de goût et ce qu’ils révèlent des propriétés des objets et des sujets (il faudra porter une attention toute particulière à nous éloigner des seuls cas d’expériences esthétiques dans les beaux-arts, qui viennent plus naturellement sous la plume), et la possibilité de ce qu’on désigne d’ordinaire par l’objectivité du jugement esthétique (improprement, il faudra bien sûr retravailler ce faux-ami), en le saisissant en train de se faire ; car contrairement à l’adage, des goûts et des couleurs on discute constamment ; il faut que les exercices portent sur des domaines et médias variés (dans le cas des arts, nous avons l’expérience de tels exercices de critique collective à SPEAP, sur des films, de la musique, des tableaux ou de la littérature, en faisant varier les postures : producteur, public, avec ou sans critique – cette dernière question étant essentielle, nos travaux pouvait aider à reformuler l’institution de la critique ; mais cela vaut tout autant pour le vin, par exemple, sur lequel Antoine Hennion a travaillé).
  • La présence de telles évaluations multiformes de ce qui fait qu’un objet « tient », est beau, bien fait, qu’il a trouvé son état, par exemple dans la littérature scientifique – ce que Deleuze appelle les « petits caractères délégués » – ou dans les projets techniques, peut faire l’objet d’un travail collectif (Bruno Latour a souvent fait faire divers exercices là-dessus, pour l’écriture des thèses ou à propos de la sémiotiques des textes scientifiques, cf. travaux de Frédérique Ait-Touati malheureusement absente; nous aurons aussi des cas analogues à propos de formules de calcul ou de technologies).
  • Le cas du design est idéal, lui aussi : la question n’y est pas le goût mais le marché, la fonction, l’efficacité, le droit, etc.; il s’y est développé tout un vocabulaire et des techniques propres pour juger ses propres produits, ce qui offre une prise extraordinaire pour voir fonctionner la fiction dans les situations les plus diverses.
  • Etc., il y a encore des formules fictionnelles et des façons de voir à l’œuvre des êtres de fiction dans d’autres domaines, par exemple pour définir d’autres formes de mobilisation, de débat politique ou de formes de vie, mais à vous de jouer !

Ces ateliers requièrent que nous définissions une procédure non seulement pour les tenir, mais aussi pour les archiver. Ils seront filmés, il faudra voir avec des spécialistes habitués du suivi et de la saisie de tels événements la meilleure façon de faire pour en garder les résultats et les traces, d’autant qu’ils viendront alimenter la plate-forme AIME.

Sujets divers apportés par les participants (liste à compléter et modifier)
Voici une liste provisoire de domaines abordés pour le moment, pour en donner une idée : le conte, le patrimoine, les séries télévisées, le calcul d’un tarif électrique, la danse-contact, les nanotechnologies, le « crédit carbone », le Web, les récits mêlant art et sciences, les rituels et leur efficacité propre, L’Œuvre à faire, le design, les modalités propres à l’écriture de programmes, etc.

À côté de la théorie de l’art (Haskell, Marin, mille autres), de la littérature (Greimas, Pavel, Eco, etc.), de la performativité (Austin), du récit (Ricœur), voire du Goffmann de la mise en scène, et de Qu’est-ce que la philosophie ? de Deleuze et Guattari (tout cela pour éviter de tomber dans les débats trop canoniques sur fiction/réalité dans la théorie du roman, ou sur le signe en sémiologie et en philosophie analytique), que ce peut être l’occasion de revoir, nous nous appuierons sur le chapitre consacré à [FIC] dans L’Enquête sur les modes d’existence de Bruno Latour (§2-ch9, pp. 237-260, voir aussi les modes proches, [TEC], [REF], [ATT], [MET], [POL], et l’argument d’ensemble du livre), et sur « De l’Œuvre à faire », le beau texte de 1956 que Isabelle Stengers et Bruno Latour ont repris dans leur réédition des Différents modes d’existence d’Étienne Souriau (PUF, 2009), et les présentations qu’ils ont faites du livre. Dans le même esprit, si l’un de vous a en tête un texte inattendu et fort, en particulier s’il aborde ces thèmes dans d’autres domaines (comme Netz sur les schémas géométriques des Grecs, par exemple), qu’il n’hésite pas à le proposer à tous !

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